Je voudrais recueillir vos points de vue. Pour faire écho à ce post sur l’aspect « narratif » des fictions interactives, je me demande si les « lieux » de l’histoire, ceux dont on se souvient, sont réellement des lieux géographiques, ou s’ils ne sont pas plutôt des situations, ou des événements.
Prenez un vieux pompier à quelques jours de la retraite. Ses amis et collègues préparent en secret une fête d’adieu, avec une remise de médaille par le maire, un grand repas, des personnes que ce pompier à sauvé des flammes qui viendront prononcer quelques mots, bref un bon moment tout plein d’amour. Bon.
Que ça se déroule dans la salle des fêtes ou la caserne des pompiers n’a finalement qu’une importance toute relative… le véritable « lieu » de l’histoire, c’est peut-être toute la période des préparatifs, les petites anecdotes, l’évolution vers le jour J, puis la fête proprement dite. Et peut-être même la petite solitude d’après-fête, seul dans la caserne, l’adieu au lieu de travail. Voyez ?
Et si on imaginait un mud, dont les rooms sont en fait des moments, des situations, des événements ? En fait, je pense plus précisément à un mud à double localisation, c’est à dire qu’il fournit la description du lieu géographique où se trouve le personnage, comme d’habitude, mais aussi, parallèlement, la description du lieu « karmique », même si ce n’est pas le bon mot, c’est à dire la description de la situation dans laquelle il se trouve. Il me semble qu’Evennia pourrait être étendu dans ce sens.
Voilà, c’est un peu brouillon, mais qu’en pensez-vous ?
Déjà, merci d’avoir partagé ce post, je ne l’avais pas lu et j’ai trouvé ça assez intéressant, ça fait réfléchir sur ce que doit-être le contenu d’un jeu.
Bien évidemment, les IF, notamment du type Z-code, sont assez orientées « lieux », on se déplace d’un lieu à un autre, on a le lieu en titre, etc…
Mais rien n’empêche de limiter cette approche à ce qu’on en veut. Je sais avoir déjà joué à une IF (je ne sais plus laquelle, français, anglais ???) où on n’avait aucun déplacement à effectuer, que des actions dans des lieux et circonstances, donc on perd cette notion spatiale, mais on est plus dans un contexte de circonstances.
Après, pour en faire un mud, c’est à dire un univers dans lequel plusieurs personnes peuvent interagir, je trouve ça compliqué de diviser ça en moments, situations ou événements comme tu dis. Du moins pour la notion temporelle. Je pense que l’adaptation se fait mieux à l’If que au mud, dans le sens où deux personnes peuvent interagir sur un mud, et donc se croiser en ayant vécu les mêmes évènements/circonstances dans un ordre différent par exemple. Bizarre non ? Après dans le cadre de voyage dans le temps, pourquoi pas, mais l’emploi reste à limiter je pense. Vous me suivez ?
Oui, tu as raison, c’est vrai que - mis à part dans le cas de voyages dans le temps ou dans les corps de personnages - on peut obtenir des effets bizarres comme tu les décris, plusieurs sujets ayant un même vécu. Par contre, ça me fait penser que ça peut très bien fonctionner pour des événements récurrents, comme par exemple la messe du dimanche, le marché, ou même une journée de travail, pourquoi pas. Du moment que la situation est typique et composée de plusieurs « temps », on peut évoluer d’un temps à l’autre dans cette situation.
Une idée qui m’est venue hier soir après la rédaction de ce premier post, aussi, c’est que si les rooms sont des moments, alors les PNJs et les objets peuvent aussi être d’autres choses, comme par exemple des souvenirs (type Proust), ou des sentiments. En me promenant dans une ruelle sombre, je peux être envahi d’une angoisse étrange, un pressentiment que quelque chose va arriver par exemple, qui serait géré par le moteur du jeu comme un PNJ dont la description est celle de ce sentiment. Si c’est un mud, tous les membres du groupe peuvent le ressentir. Ou alors en me tordant la cheville, je peux me retrouver nez à nez avec un souvenir d’Italie, peut-être géré par le jeu comme un objet.
Je ne sais pas si les moteurs d’IF solo sont extensibles, s’ils permettent de créer de nouvelles catégories de choses.
Naturellement qu’ils le permettent. Inform, en tous cas, le peut.
Et tu peux tout à fait créer des « objets » immatériels comme des souvenirs ou des informations. Tu peux tout aussi bien créer une nouvelle forme de « relation » entre un personnage (y compris le personnage joueur) et ces objets immatériels.
Par exemple, la possession est une « relation » entre un perso et un objet matériel. Je « possède » ce chapeau si je l’ai dans mon inventaire, après l’avoir ramassé.
De la même manière, si « Identité_du_Tueur » est une information, je « connais » (nouvelle relation) cette information, après avoir avoir parlé à tel PNJ.
Et sinon tu peux évidemment faire varier la description d’un lieu selon le moment, le contexte …
Du genre :
RueMachin is a room. The description is "Vous êtes rue Machin.[if Carnaval is happening] Les rues sont pleines d'estivants masqués qui rient et chantent[otherwise if Noël is happening] La neige recouvre la chaussée et les décorations clignotent[otherwise] On s'y ennuie comme la plupart du temps[end if].
Et pour compléter, je rajouterai même par rapport à tes émotions qu’on peut attribuer aux joueurs des émotions par le même procédé, du style [if Peur is felt]… Maintenant sans parler d’une room en particulier, tu peux faire des règles comme quoi si une condition est remplie, toutes les descriptions en seront affectées comme tu veux.
Intéressant !
Tout dépend à quel point on veut faire du « lieu » un « évènement ».
A vrai dire, je préfère les jeux narratifs et c’est ce que j’ai tendance à coder. Le cercle des geeks c’était pas trop ça, mais déjà la cité des eaux offrait une progression linéaire chapitrée avec des retours en arrière impossibles, et Catapole s’est enfoncé encore plus loin dans le principe (même chose, mais avec plus de texte d’ambiance, quoi).
C’est ce mécanisme que j’aime bien, donc : utiliser chaque lieu soit pour informer sur le monde/mettre en place une ambiance, soit pour faire avancer l’histoire, mais chaque lieu ne sert qu’une fois. Quand on a avancé dans la narration, on n’a pas besoin de revenir en arrière (et régulièrement on ne peut de toute façon plus le faire). Pour être sûr que ça ne pose pas de problèmes, je m’arrange pour qu’aucun objet « oublié » dans une zone désormais inaccessible ne soit vraiment nécessaire.
L’idée de « double localisation » me plait bien aussi. Je ne l’ai pas encore vraiment pratiqué (un peu dans Catapole quand même, où des descriptions de lieux changent suivant l’avancée de l’histoire… ça reste léger), mais j’ai en tête un jeu spatial ou ça aurait une place assez importante. Ceci dit, autant sur une IF je vois bien l’intérêt, autant, comme le dit ciseur, dans un MUD ça me parait difficile à mettre en œuvre ! A moins qu’il n’y ait pas de « quête perso » mais juste une grande histoire commune qui fait évoluer les lieux pour tout le monde. Cela donnerait un superbe MUD mais avec deux inconvénients :
il faut du coup prévoir une histoire assez longue parce que le MUD sera plus ou moins « mort » une fois l’histoire terminée ;
si un joueur arrive en cours d’histoire il n’en verra pas le début (mais demander aux autres joueurs de lui raconter tout peut être un moment sociable intéressant).
A mon sens on peut faire une histoire narrative où les lieux sont revisitables. Et même réutilisables pour le codeur c’est toujours cool dans un jeu quand on croit avoir tout vu d’une zone, et que soudain, en y revenant, on se rend compte que les décors ont en partie changé, qu’une autre faction s’y installée et qu’il s’y passe de nouveaux événements … (je prends un exemple type RPG mais ça peut marcher avec n’importe quoi).
Oui, bien sûr. Je citais une piste parmi d’autres qui se prête bien aux fictions classiques où l’on veut, de manière simple, mettre l’histoire en avant.
De toute façon dans un MUD si on bloque des lieux au fur et à mesure ce sera très vite embêtant =)
Un MUD où chaque pièce (à part des salles communes) ne peut être visitée qu’une seule fois, par un seul joueur…
Un jeu où chaque lieu représente un moment précis d’une vie, et on peut se déplacer (nord = avancer dans le temps, sud = reculer) entre les évènements à volonté, et pourquoi pas les faire changer…
Votre conversation fertile me donne des idées intéressantes en tout cas Pas forcément faisables (enfin, disons que y’a beaucoup de boulot quoi), mais très intéressantes !
Juste pour ajouter un peu à ce que les autres ont dit, Inform 7 possède un concept de « scène », qui est analogue au concept d’endroit, mais pour le temps (c’est de ça que Azathoth parlait). Pour les choses représentant des concepts, certains utilisent effectivement des choses, mais (du point de vue d’I7), je trouve que ce n’est pas la meilleure façon de faire.
De toute façon, que ce soit appelé « endroit », « chose » ou « iequlire » sont juste de noms, on peut l’interpréter comme on veut.
Mais sinon, effectivement, ça donne des idées potentielles !
Comment gères-tu les informations, du coup, si tu ne fais pas de chaque info un objet ? (qu’un personnage peut avoir ou non, qu’on peut acquérir, donner, vendre, etc)
Rhâ (lovely), je confirme… ça donne beaucoup d’idées, beaucoup d’envies…
En fait, j’ai ressenti une petite honte de ne pas bien connaitre le fonctionnement de Inform7. Continuer sans savoir serait presque un manque de respect envers vous, du coup je suis en train de lire la doc à toute vitesse, et je reconnais que c’est un système sacrément bien conçu !
Là tout de suite, j’ai deux choses à l’esprit.
Je sens qu’Inform7 propose à l’auteur un point de vue objectif, avec une ontologie particulière : « object » se décompose en « room », « thing », « direction » et « region » ; à partir de là, « thing » se décompose lui-même en toutes les catégories dont l’auteur a besoin. Si j’ai bien compris en tout cas.
Je suis plus intéressé par un point de vue purement subjectif, voire solipsiste, à la Matrix : la seule chose dont on est sûr, c’est de ce que nous envoient nos cinq ou six sens. Du coup, je verrais bien une topologie inversée de la réalité : au lieu de commencer par le concept de chose qui englobe tout et qui se subdivise, tout commence par ce qu’on ressent. Et ce qu’on ressent va ensuite se subdiviser et à se ramifier pour reconstruire une réalité perçue. L’apport serait qu’un système ainsi conçu serait plus proche des « tripes » du lecteur : il serait plus simple de décrire un vécu, et peut-être un plus compliqué de décrire une organisation spatiale d’objets concrets. Je me demande si je suis bien clair dans ce que je dis
L’autre chose que j’ai à l’esprit est que… lire la doc d’Inform7 me donne furieusement envie d’être dans un jeu en train de construire le jeu. Ces phrases en bon anglais (qui pourraient être du bon français), j’aimerais pouvoir les dire au jeu, depuis l’intérieur du jeu, en cours de route. Comme un mush, sauf qu’un mush est conçu pour le multijoueur, alors que là il s’agirait d’un monde à explorer solo, mais un monde fait d’histoires, de destins croisés, de légendes peut-être. Revenant quelques jours plus tard dans le jeu, on trouverait des modifications apportées par d’autres joueurs/auteurs. Pur délire !
Tout dépend de ce que tu veux faire, bien évidemment. En fait, je pense que je parlais plus de sémantique. Plutôt que d’écrire « A idea is a kind of thing », on écrirai « an idea is a kind of object ». Comme ça, le type « thing » ne devient pas un fourre-tout.
Ou encore mieux, tu peux utiliser une « kind of value », avec les valeurs définies par une table (cf. §16.17 de la doc) :
[code]Idea is a kind of value. The ideas are defined by the Table of Ideas.
Table of Ideas
idea description
amour « blablabla »
liberté « patati »[/code]On peut même créer à la volée des types de type de cette manière. Mais bon, on dérive un peu du sujet.
@Jul Je crois que je vais prendre une aspirine.
Et pour ton idée de créer le jeu dans le jeu, c’est un peu ton idée de départ, avec un wiki, non ? Sinon, ça m’a donné l’envie d’essayer de le faire avec I7, ça pourrait être un prototype marrant (mais du coup, ça restera solo)
C’est hyper attrayant, mais le problème, c’est que si on doit « créer » en tant que joueur, ça doit-être limité. Sinon, on sort vite du champ prévu par l’auteur, et alors là, le joueur n’a plus qu’à écrire une nouvelle IF… Alors qu’en multijoueurs, ce qui est créé par une personne sert aux autres, et cette personne attend d’autres proposition en retour, donc l’intérêt est plus grand d’après moi.
Je viens de tester pour la première fois un MUSH, suite à vos messages, et je trouve le concept complètement fou ! Je ne savais pas que c’était si poussé, si fonctionnel on va dire. Savez-vous si il en existe un français ? Si non, va falloir en créer un !
Non, j’ai bien cherché, il n’y en a pas, ou en tout cas aucun d’ouvert au public… Je confirme, il faut en créer un !!!
Mais je me suis mal fait comprendre : ce que je voulais dire, c’est que les choses créées par chaque participant seraient immédiatement accessibles aux autres, mais que l’histoire contée devrait pouvoir se vivre seul. En effet, la triste vérité, c’est qu’il n’y a jamais personne sur un mud/mush, donc on se retrouve à errer seul dans la cambrousse jusqu’à se faire tuer par un lapin (ça sent le vécu dans VanciaMUD)
N’hésite pas à poser des questions concrètes, sur des points de programmation précis.
C’est faisable aussi avec I7. Rien ne t’empêche de créer 150 variables (chiffrées ou sous forme d’adjectifs) qui définissent la personnalité, l’humeur, etc, du personnage-joueur, et de faire varier le texte narratif en fonction de ça. Tu peux faire n’importe quoi avec I7, tu n’es pas cantonné à la stricte forme froid et objective, en effet, d’une fiction interactive classique.
Je connais très mal les values, en inform7. Comment tu ferais pour qu’une idée « passe » d’un personnage à un autre, par exemple ?
A quelles fonctionnalités penses-tu ?
(Je ne suis pas du tout spécialiste des mush moi-même)
Oui, je m’en aperçois. Je comprends qu’I7 ait du succès, il y a du boulot derrière, c’est beau.
La grosse différence entre les mush et les muds, enfin pour moi qui suis passionné de programmation, c’est qu’avec un mush tu peux coder de nouveaux objets et leur comportement directement depuis le jeu, alors qu’un mud est fait plutôt pour jouer avec ce qui existe déjà. En l’occurrence, le mot magique à googlifier, c’est « mushcode », qui donnera des résultats comme celui-ci. (Cela dit au niveau ergonomie, le mushcode est une horreur.)
A propos d’I7, je crois qu’il serait possible de construire un système similaire en utilisant Datalog pour contenir le monde et RiveScript pour communiquer avec lui. Miam.
Je suis effectivement d’accord pour dire que les outils de programmation (I6 que j’utilise) sont plutôt orientés lieux physiques. Et les commandes usuelles permettent uniquement les déplacements physiques (nord, sud…) Mais il est tout à fait possible de gérer du temps, et de faire en sorte que des actions soient déclenchées en fonction du temps.
Il me semble que c’est dans Monkey Island que certaines actions varient en fonction du temps ?
Le principe du MUSH permet effectivement d’ajouter la notion de temps et de « direct », ce qui est sans doute sympa à creuser. Après je n’ai accroché au principe de ce genre de jeux, mais il y a sans doute plein de choses à creuser de ce coté là.
Dans mon jeu (qui sortira en 2075 si mes prévisions sont justes), j’ai totalement recodé le système de déplacement. Finis les « nord, est, sud », etc …
En tapant une commande, on accède à un menu de déplacement qui liste les lieux CONNUS par le personnage-joueur. Et les lieux se découvrent, se débloquent, progressivement au cours de la partie, selon les rencontres, les quêtes, le hasard ou les actions du joueur.
Certains lieux seront stables, on pourra y retourner à volonté - et d’autres n’apparaitront que le temps d’une quête.
J’ai également totalement recodé le passage du temps. Auparavant pour faire passer 12 heures ingame, par exemple, il fallait faire passer (12 * 60) tours de jeu, ce qui était ultra lourd. Je n’utilise donc plus tout les tours ni « time of day », j’ai crée mes propres variables de temps, et le mécanisme de passage des minutes, heures, jours de la semaine, mois, années. Et maintenant pour faire passer une journée complète (par exemple " Vous passez la journée à travailler sur les docks ", et hop) il faut une seconde (contre BEAUCOUP PLUS auparavant).
Tout ça pour dire qu’Inform7 propose des trucs pour créer un jeu, clé en main - mais qu’en mettant les mains dans le cambouis on peut lui faire faire tout autre chose.